L’art fromager à travers les siècles

Bas-reliefs sumériens représentant la traite des vaches et le caillage Les produits laitiers étaient vraisemblablement connus des populations nomades du Néolithique, la domestication d’espèces pouvant produire du lait (caprin, ovin) étant attestée depuis 8 700 ans av. J.C. Les premières transformations fromagères (caillé, faisselle, cottage cheese, leben, raïb, kombucha, kefir), résultats de manipulations fortuites au départ, sont attestées dès le VIIe millénaire av. J.C. Des bas-reliefs sumériens représentant la traite des vaches et le caillage sont datés autours du IIIe millénaire av. J.C.

Dès l’Antiquité, le lait a été transformé, sous forme de fromage. Dans l’Égypte ancienne, c’était un fromage aigre et salé, puis dans la Grèce ancienne les améliorations techniques ont permis d’améliorer les procédés de fabrication et d’introduire les fromages de lait de chèvre et de brebis (grec ancien τυρός TuÞóç, « túros ») dans l’alimentation quotidienne. Le beurre (grec ancien βοὐτυρον, « boúturon ») était aussi connu mais peu utilisé. Pline l’Ancien mentionne que certaines tribus « barbares » savaient « épaissir le lait en une matière d’une agréable acidité ». Au Moyen Âge, les laitages sont toujours un des aliments de base des populations ouest-européennes, car ils permettent de conserver le lait à un faible prix. Les méthodes de fabrications deviennent de plus en plus élaborées et on assiste à une spécialisation régionale progressive, souvent à l’initiative d’abbayes organisées en grandes exploitations laitières (roqueforts, munsters, maroilles).

Texte inspiré du guide du fromage - Androuet, www.adrouet.com
La fabrication du fromage au Moyen Age

Marchande de lait au XIX ème siècle La production de masse de fromage se développe avec le début de l’urbanisation, et s’accompagne souvent de problèmes sanitaires liés à la non maîtrise de la proliférations de bactéries pathogènes.
Les travaux de Louis Pasteur et d’Émile Duclaux sur la pasteurisation des laits et la création de ferments stables permettent l’essor de l’industrialisation alors que se développent les technologies de réfrigération ou de chauffage des cuves.

Au XXe siècle, les progrès technologiques dans les domaines agricoles (la sélection génétique de races laitières qui a débuté au XIXe siècle fixe les races et permet d’augmenter la production), de la collecte des laits (début de la concentration de la filière à travers l’émergence de sociétés familiales puis industrielles spécialisées) ou de la conservation (brique Tetra Pak dans les années 1960, lait UHT dans les années 1970) se poursuivent, entrainant une augmentation rapide de la consommation. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale (1954), la distribution du verre de lait sucré à l’école répond à la fois à des idéaux hygiénistes mais aussi à des impératifs économiques afin d’assurer un débouché à la production (le « fleuve blanc »).

L’industrialisation va se poursuivre avec les procédés de cracking du lait, permettant dès les années 1970 à l’industrie laitière de créer de nouveaux produits : lait allégé en lactose, lait écrémé, lait demi-écrémé répondant à une attente des consommateurs souhaitant des produits moins énergétiques et pauvres en lipides, mais générant également une nouvelle demande (marketing) pour assurer les débouchés dans un marché saturé. Les crises laitières de la fin du vingtième siècle , associées à la suppression des quotas laitiers en 2015 ou à l’apparition de nouveaux acteurs mondiaux, fragilisent encore plus ce secteur. L’émergence de la Chine qui se met à produire et consommer des produits laitiers, alors que cela ne faisait pas partie de sa culture, constitue un facteur d’incertitude.

Pourtant, à ce processus de concentration et d’industrialisation de la filière se superpose en France, dès le début du vingtième siècle, la volonté de protéger certaines productions locales jugées uniques tant sur leurs caractéristiques organoleptiques que sur leurs modes de production qui sont reconnus comme porteurs de valeurs, de savoir-faire et de traditions. Les lois promulguées en 1905, 1955 et 1973 sont destinées à protéger les éleveurs producteurs fromagers locaux des contrefaçons. Le pôle fromager AOP Massif central assure un rôle dans la recherche et le développement des sept appellations d’origine du Massif central Les AOC sont créées dès 1935 en France, et l’INAO est instauré pour garantir le respect des cahiers des charges et la typicité des produits et des modes de production. Cette législation sera reconnue et adoptée au niveau européen en 1992 (AOP).

Ainsi, suite aux crises sanitaires (vache folle) ou à la dénonciation à l’échelle internationale de l’impact de l’élevage industriel sur l’environnement (FAO, Lifestock long shadow, 2006), une certaine prise de conscience sociétale se fait jour. La demande en produits sains, respectant l’environnement et le bien-être animal émerge. Cette attente est favorable à des productions locales, aux circuits courts et aux productions à base d’herbe ancrées sur le territoire. Les exploitations à taille humaine permettent tout à la fois le développement de pratiques respectueuses de l’environnement et des animaux (moins de concentration, utilisation de la ressource locale en herbe) et la production de produits appréciés pour leurs qualités organoleptique.

De l’herbe au fromage, un continuum nutritionnel et organoleptiques La valeur ajoutée ainsi créée permet à ces éleveurs de vivre de leur métier. Un nouveau modèle est-il en train d’émerger ?